dimanche 24 mars 2013

Luang Prabang - Sam Neua

     Comme prevu, nous entamons la piste juste apres Luang Prabang ou nous avons uniquement dormi et mange, en prenant tout de meme le temps de faire l'article. Aucun de nous deux n'a envie d'avancer, a croire que nous nous perdons volontairement a la sortie de la ville dans un sentier. Une fois la route retrouvee, nous faisons a tout casser du 7km de moyenne sur la moindre bosse pour enfin se laisser couler jusqu'a que l'equilibre vienne a nous manquer. Quelques kilometres plus loin, la piste. Un peu decus sur le coup, on s'attendait a une piste pure et dure, avec des grands trous, des rochers, des pieges en travers le chemin; c'en est pas. La piste qui coupe plein est entre la route principale, est large et lisse, une "route mais sans goudron" comme on dit sur le moment, un peu peteux.


     Mais la "route sans goudron" nous montre rapidement son vrai visage, elle devient epouvantable, apres quelques kilometres, on s'ecarte de la riviere et la, et la, coup de baton derriere les oreilles. La piste grimpe le diable pendant cinq kilometres, les deniveles sont parfois invraisemblables, on a de quoi grimper des murs, mais ici rien n'y fait, petit plateau, grande vitesse, ca force dur. Une fois en haut, pas le moindre plat, ca redescend a pic. Et en bas, meme schema, il nous faut regrimper aussitot. Aucun repis. Robin y casse par deux fois sa chaine et y laisse un cale pied. Avec la fournaise environnante, les foutus poteaux electriques (qui longent le chemin) que l'on apercoit au loin vers les sommets nous indiquant que la montee est loin d'etre terminee ou qu'une terrible cote est a venir a peine la redescente entamee, le passage des vehicules qui nous recouvre de poussiere, le moral est dans les chaussettes. Il nous faut en plus rationner l'eau de temps en temps car meme si les villages (en general dix ou quinze maisons) sont relativement rapproches ils nous faut du temps pour les atteindre.


     Mais heureusement les laotiens aiment prendre soin du falang; le premier soir, alors qu'on s'endort en bord de riviere, apres une baignade commune avec les villageois a la tombee de la nuit: "No No!". Un homme gesticule avec sa lampe torche (ils en ont tous une dans la poche a defaut de lampadaires) et nous eblouit, arrive le reste de la troupe, ils sont environ cinq mais pas un n'arrive a nous expliquer quoi que ce soit. On comprend bien qu'ils ne veulent pas qu'on dorme ici mais reperant dans l'intonation une forme de bienveillance on fait mine de pas comprendre. On mime qu'ici c'est tres bien pour nous. En plus Robin est fievreux. Bruit de moteur, mobilette qui debarque, lampe torche allumee, cette fois c'est un flic. Il parle anglais et nous explique qu'il prefere que nous dormions a "l'office". Il ne veut pas qu'il nous arrive mesaventure, le gouvernement s'en prendrait a eux d'apres ses dires, ils doivent donc nous prendre en charge. On suit le bonhomme une centaine de metres. On ne sait pas trop ou on debarque, on accede a l'office par une echelle calee contre le fosse. On entre dans une piece; une tele, une table pour poser les bieres et un canape, un rat et une chouette morts sur un bout de table, "Ah plutot style l'endroit". Il y a cinq types, un d'eux nous designe la piece voisine. La piece ressemble a une petite salle de classe. On dort sur le sol sous un tableau d'ecolier dans la poussiere. On ne dort quasiment pas de la nuit. Les flics, dans l'autre piece regardent un film X jusqu'a trois heures du matin, la cloison ne montant pas jusqu'au plafond et le volume n'etant pour ainsi dire au minimum nous ne pouvons dormir. Deux heures et demi plus tard, la maison se reveille, a coup de raclements de gorge, de musique, de pas lourds et presses sur le plancher, on passe aussi dans notre "chambre" pour je ne sais quoi. Ils font un vacarme pas possible. On se tire de cet endroit au plus vite, on parcourt je ne sais comment soixantes kilometres et on s'effondre dans une guesthouse miraculeuse.


     Une autre nuit, apres une journee aussi eprouvante que les autres des gens nous installent des paillasses en bambou sur un endroit degage dans un village, rien de quoi acheter a manger ici. Mais les laotiens se nourrissent exclusivement de riz matin midi et soir. Il s'agit de "Khao niaw" (riz gluant ou riz collant que l'on mange a une main, il faut le malaxer dans la paume pour obtenir la taille voulue). Ils le conserve dans des paniers en bambou de toutes tailles. C'est le produit de base. Apres quelque hesitation j'intercepte un jeune, demande "Khao niaw" puis "Thao dai" et enfin remercie par un "Kop chai".

     Nous sortons de la piste apres 150 kilometres, la vue de l'asphalt nous rehausse le moral, en revanche ces satanes poteaux ne semblent pas vouloir nous lacher, ils sont toujours la. Durant le reste de la semaine nous ne faisons que grimper et descendre comme des imbeciles, tout comme dans la piste. Plusieurs fois nous ateignons la fringale. On monte en general entre six et dix kilometres non stop avec du bon pourcentage et on redescend aussitot; le plat, on ne connait plus. Ces montagnes russes nous irritent et ces poteaux electriques nous rendent fous. Mais les innombrables villages sont traverses avec bonheur, en general a l'entree, passes quelques poules et porcinets des enfants accourent vers les maisons pour prevenir l'arrivee du falang et lorsque l'on passe devant eux: "Sabaideeeee!" ou alors "Bye bye!", toujours en agitant la main. Si un gamin ne reagit pas a notre passage, il se voit souvent agiter sa propre main par sa mere qui lui murmure falang falang. Des fois les papis et mamies s'y mettent aussi et nous lancent de joyeux "sabaidee". C'est sur, nous sommes des falangs, un jour la verite eclate au grand jour: alors qu'on se desaltere devant une boutique, un homme vient nous voir et nous envoie: "falangs?". On est alors bien oblige de se l'avouer et d'acquiescer a travers notre rire: "hm hm falangs".


     En fin d'aprem, dans un enieme village, je resserre une manivelle et rob s'occupe de son pedalier, la piste ne lui a pas fait du bien. S'attroupe alors une trentaine de personnes autour de lui, ca compte le nombre de vitesses et ca tate le pneu; mais lorsque j'ouvre la carte ils migrent et se ruent sur moi. C'est au moment de la pause boisson au shop qui surplombe la route que l'on nous invite pour la nuit, on passera donc la nuit chez le commercant dans sa maison qui sert de boutique ou l'inverse. Un jeune, surement le fils, nous mime d'aspirer quelque chose. Il nous conduit a un cabanon juste derriere la maison, on s'attend a de l'opium, "on va au moins jeter un oeil, on verra bien". Une petite jarre en terre cuite est posee au sol, deux tubes en caoutchouc permettent de boire le melange, il s'agit d'alcool de riz, distille maison. Nous buvons avec le pere, le fils et un de ses amis, le fils etait deja ivre quand il nous a interpele, mais nous buvons peu, on est creuves. L'alcool n'est pas mauvais, il a le gout de riz. La facon de boire le jus est singuliere: chacun doit boire l'equivalent d'un verre d'eau que quelqu'un verse au fur et a mesure dans la jarre, une fois le verre vide, on passe la paille a son voisin. Nous tombons ensuite une biere a leur facon: un d'eux nous sert une mesure, lever de verre, petit coup d'oeil circulaire, les colleguent approuvent, puis lever de coude.


     On mange dans la maison mais nous payons, on prend ce que l'on veut dans la boutique puis nous filons des biftons au jeune. Vers 21heures, installes derriere les etales on s'interroge: le jeune et la mere dorment dans l'unique piece, le pere est parti, mais la lumiere est toujours allumee: "Ptain tu crois qu'ils dorment en plein phare ?" - " Ouai jme demande aussi, c'est bizarre, c'est eclaire dans les autres maisons aussi". Effectivement, nous passons la nuit en plein jour, grand neon au dessus de la tronche, c'est d'autant plus drole que la mere se cache de la lumiere en mettant des vetements sur sa moustiquaire. La couette est a la taille laotienne: on dort les genoux a l'air, nous avons de la chance cette nuit il fait froid.
On nous offre du riz au petit matin, vers 6h puis nous partons, la journee se termine bien mieux que prevu, en manque d'eau et de nourriture on s'arrete vers 21h dans le premier village apres avoir grimpe une cote interminale, je suis en fringale, les jambes qui tremblent, plus de jus. On demande juste de l'eau et du riz et on nous dresse un buffet sur les tables exterieures: trois grands bols de bouillies de legumes et poissons accompagnes d'un large panier de riz bien rempli. On nous tend une biere, on salive, mais le liquide est bien plus puissant qu'une simple binouse, alcool de riz toujours, mais au gout puissant d'eau de vie. Non merci ! On n'ose pas demander l'hebergement considerant que l'on avait deja bien trop recu.


On trouve deux cabanons en bambous au bord d'un chemin. Un d'eux est delabre mais l'autre est impeccable, on dispose la bache et nous y passons une nuit reparatrice.


     Apres s'etre enquilles quelques insupporables grimpettes nous debarquons dans un village en milieu d'apres midi, on s'y arrete pour faire une pause, ah mais quelle pause. De l'autre cote de la route, en face, sous une maison sur pilotis on nous appelle pour l'apero. On y voit une grande jarre, au milieu d'un attroupement. "Bon on s'en met qu'un apres on file"-"Ouai, vraiment qu'un par contre". Apres deja trois quatre verres: "Allez , encore un autre avec le vieu la bas il est sympa". Tout le monde veut boire avec les falangs. Nous en buvons bien plus qu'un et finissons ronds comme des ballons. Les plus solides sont probablement les papis, ils aspirent la pousse de bambou avec facilite et avalent leur dose sans rechigner. C'est une ambiance de fete qu'il y a, une enorme enceinte crache de la musique, le son doit s'entendre a des kilometres. On nous invite a manger dans une maison, on nous offre du riz, de la soupe et du cartilage de boeuf immangeable pour nous. Essayez de manger un morceau de pneu vous allez voir. La viande est chere ici et donc, precieuse, rien ne se jette. Nous restons a la fete jusqu'a la tombee de la nuit. Un des villageois finit par nous prendre en charge et nous installe chez lui. On s'endort comme des masses et on se reveille avec la gueule de bois.


     On decale vers six heures, derniere etape avant Sam Neua. On subit ici le premier accident du periple, petit accrochage avec une moto, choc a cinq a l'heure, aucune egratinure. Petite baignade en bord de route au pied d'une cascade bien fournit pour la saison, je manque d'ailleurs de m'y casser la cheville en retournant vers les affaires.


Soulagement, liberation, lorsque l'on atteint Sam Neua apres une longue descente. En jetant un coup d'oeil au guide on s'apercoit avec etonnement l'altitude de la ville: 1200 metres, on devait etre bien haut a des endroits. "Mais bon maintenant ca va faire que descendre hein". Il nous reste de la montagne et nous le savons, nous preferons ne pas en parler et se voiler la face.

Par ici les photos


4 commentaires:

  1. Bonne Fete Victo avec 1 jour de retard!En vous lisant aujourd'hui, on se rend bien compte que vous etes au bout du monde,loin de tout confort. C'est le dépaysement complet meme pour la langue parlée.Merci encore pour les belles photos. Bravo pour votre courage à tout les deux. Nathalie.

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  2. Bonne fête Vic .Là vous êtes vraiment au bout du monde ,c'est dur pour vous .Vous n'avez aucun confort et en plus vous êtes à vélo sous un soleil de plomb.Mais cette vie rude vous permet de faire des rencontres et de découvrir les gens dans leur milieu . Et de comprendre leur difficultés
    Merci encore pour ce nouvel article et toutes ces photos.C'est super!
    Profitez bien mais soyez prudents.
    CM(Limoges)

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  3. Alcool de riz, bière,
    Pas très sérieux les farangs...
    Attention ça tangue!

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  4. Dans ce pays de bambous et de tôle ondulée ,sur des pistes sableuses vous brûlez le carburant local ,alcool de riz.Bravo Vic pour le commentaire et les photos ,bonne route à vous deux.Alain.

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